Alice Zagury, TheFamily
Notre ambition est de devenir un accélérateur d'écosystème, on ne fait pas que de l'accélération de start-up. On attaque de front tous les problèmes particuliers de notre milieu, c'est pourquoi on adresse aussi bien les start-up que les grands comptes, les investisseurs et le gouvernement. Nous avons défini deux axes : « l'éducation et les privilèges ».
Le premier est un programme où l'on explique que l'entrepreneuriat est une science et on donne la méthode et les outils. Le second consiste en des packages qu'on élabore pour les start-up à leur arrivée chez nous. Ce sont des statuts légaux, un accès à des serveurs pour 10 000 euros ou des négociations avec des fonds. Côté investisseurs, on travaille avec Partech International, Elaia Partners, ID Invest ou encore XAnge. Sans oublier Index Ventures désormais.
Comment parvenez-vous à articuler les relations entre start-up, investisseurs et grands groupes ?
D'abord j'ai voulu que TheFamily soit privé pour être indépendant et aligner les intérêts de tous ces acteurs. Le contrat avec ces investisseurs, c'est qu'on garde nos start-up secrètes et on ne leur présente que lorsqu'elles sont prêtes. Quand une start-up passe chez nous, les investisseurs savent qu'elle est mature. De leur côté ils s'engagent à donner une réponse en moins de quinze jour lorsqu'on les sollicite.
Le deal qu'on fait avec les start-up c'est qu'on ne les aide pas à lever des fonds si elles n'ont pas atteint certaines metrics. Ces données mesurables peuvent être le nombre de visiteurs actifs par mois, les billets vendus, etc. C'est un contrat de traction vis-à-vis des investisseurs à qui on présente les start-up.
Côté grands groupes, on organise un mardi sur deux des rencontres autour d'une thématique, comme les télécoms ou la finance. On réunit une quarantaine de personnes de grands groupes, plutôt des décisionnaires. Puis on leur dresse un panorama des innovations de rupture dans leur industrie, avec une série de cas concrets grâce à nos start-up. L'idée est de leur faire comprendre qu'ils peuvent collaborer.
Vous avez été manager du Camping, le premier accélérateur de France. Où se place TheFamily ?
Le Camping c'était une chance extraordinaire. Il a vu le jour en 2011, c'était le premier accélérateur du pays, son but était d'évangéliser dans un écosystème où il n'y avait pas de structure comparable. Cela a permis de valider des hypothèses un peu trop risquées, puis d'autres accélérateurs ont vu le jour.
L'ambition de TheFamily n'est pas de remplacer le Camping, on travaille d'ailleurs encore avec eux. Notre but est de s'attaquer à des problèmes inhérents à notre culture. C'est le manque d'ambition, le manque de mélange et de diversité, l'élitisme. Pour casser ça on doit être un poil à gratter, et être indépendants.
En fait j'estime que nous travaillons toujours au lancement. Mais je peux déjà dire que j'ai été surprise par le nombre de candidatures qui ont afflué : près de 800 ! Pour moi c'est la combinaison de deux raisons. D'abord nous avons baissé la barrière à l'entrée, puisqu'il suffit d'envoyer un e-mail pour candidater. Ensuite on parle à une génération frustrée, à qui notre vision correspond.
On veut découvrir la « dark matter » des gens, ce qui fait qu'ils sont des entrepreneurs. Nous voulons des personnes qui viennent de toutes les filières et pas que des écoles de commerce. Alors sur les 800 dossiers, nous en avons reçu les deux tiers, et retenu 30. Deux ont déjà levé des fonds, deux autres ont reçu des offres de rachat.
Le nerf de la guerre c'est souvent de lever des fonds. Quelle stratégie adoptez-vous sur ce point ?
On n'a pas deux fois sa chance avec un investisseur. D'où l'importance de respecter un certain timing dans la vie de la start-up, y compris dans sa façon de communiquer. Quand on célèbre un entrepreneur dans les médias car son projet es bien accueilli, il se fait immédiatement analyser par les fonds et en fait il est grillé car le projet n'est pas toujours prêt ! On préfère célébrer l'évolution d'un stade à un autre.
TheFamily a éradiqué pas mal des choses des accélérateurs classiques. On n'a plus de logique d'entrée ou de sortie. Le temps d'accélération est injuste car certaines start-up comme Uber ont trouvé leur modèle économique en cinq jours alors qu'Airbnb a mis 38 mois et d'autres ne l'ont toujours pas trouvé. Nous on se met d'accord sur une date limite à leur arrivée, et on leur propose un contrat adapté.
Les médias pensent aider ces jeunes pousses lorsqu'ils en parlent. Cela peut être contreproductif ?
Dans la vie d'un entrepreneur, il y a toujours une forme de schizophrénie entre ce qu'on raconte à la presse et la réalité. La difficulté est de rester entre les deux sans jamais croire ni l'un ni l'autre. On voit le mal qu'un article dans TechCrunch peut faire ! On devient soudainement la fierté de la famille et de son entourage mais ça ne reflète pas l'efficacité du produit ou du modèle économique de la start-up.
Et puis lorsqu'il y a un problème, le décalage peut être dur à vivre pour le porteur de projet. La couverture médiatique peut être un outil à un moment mais c'est une question de maturité. Il faut différencier l'utile et l'agréable. Un article de presse ne va pas changer le produit. Il faut rappeler que 90% des projets vont au casse-pipe donc les surexposer avant l'heure ça n'est pas toujours les aider.
Nous avons plusieurs stades où nous accompagnons la start-up entre 0 et 1. Avant 0, c'est la « matière noire », ce qui fait l'entrepreneur. Ensuite nous sommes au stade phénix, entre le problème à résoudre et le produit minimum viable (MVP). Ici, pas besoin de média. Une fois le premier produit fabriqué, on développe la traction, c'est l'étape « diamant », où l'on solutionne déjà le problème.
À ce stade la start-up doit gagner un maximum d'utilisateurs mais sans encore engager une stratégie média. La société doit grandir de manière incrémentale, doit trouver des niches, bien définir sa cible. Un bon produit progresse de façon organique pour que la courbe de traction soit bonne. Une fois la traction atteinte, soit on choisit de monétiser, soit on cherche un modèle économique. À ce stade, les médias peuvent être un plus pour la boîte.
Ceci correspond à notre doctrine, ça n'est pas le seul modèle qui marche. Cependant il est important que le business model vienne après. La start-up risque de perdre énormément si elle ne crée pas d'abord une solution géniale, elle se concentrerait alors sur sa façon de gagner de l'argent et risquerait de ne pas suffisamment innover. Rappelons que sans cette approche, il n'y aurait pas eu Twitter ni Facebook...
Comment avez-vous convaincu Index Ventures, et que va-t-il vous apporter concrètement ?
Nous avions déjà levé 250 000 euros auprès de business angels à notre création, mais nous n'étions pas en recherche de fonds. Index Ventures nous a fait une offre, nous a proposé de « pitcher » à Londres. Nous avons expliqué notre vision qui veut rétablir le rapport de force et casser la logique élitiste. Ça leur a plu et ils nous ont fait « une offre que vous ne pouvez pas refuser », un peu moins d'un million d'euros.
C'est très valorisant et légitimant pour nous d'avoir attiré le plus grand fonds européen, qui a déjà investi dans Facebook, Dropbox ou Etsy. Ils ont un réseau de dingue, c'est donc intéressant pour nous d'être connectés à eux car ils n'apportent pas que de l'argent mais aussi un accompagnement des start-up. Par contre nous n'avons pas signé d'exclusivité avec eux. Au contraire on doit travailler avec d'autres fonds. Aussi c'est seulement la deuxième fois qu'Index investit dans un accélérateur, après SeedCamp.
Avec Index Ventures on élimine la difficulté de rencontrer les bonnes personnes dans les fonds. Pour autant nous ne comptons pas durcir la sélection à l'entrée. Nous voulons attirer de la diversité.
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